mercredi 14 août 2013

Les tricycles

À maman

Des années plus tard, ce dont elle se souviendra le plus facilement, c’est de l’odeur.

Tout le cabanon embaumait jusqu’à l'écœurement la poussière, l’humidité et l’urine de chats. En ouvrant la porte, on soulevait de grands pans de poils, de débris du cabanon qui s’effritait avec les années et de cadavres d’insectes momifiés, datant probablement du jurassique. Des toiles d’araignées pendaient ici et là, inhabité pour la plupart : un village fantôme d’étoiles et de mouches mortes. Dans le coin droit, caché comme si on ne se faisait pas à l’idée de s’en débarrasser pour de bon, était dissimulée une tondeuse. Isabelle n’avait jamais compris ce que faisait une machine à couper le gazon dans le cabanon, puisque la cour arrière était asphaltée à grandeur. Pourtant elle y trônait, fière et inutile, parmi les outils, les pelles, les bêches et les vieux clous. On avait pendu jadis des rideaux fleuris aux fenêtres pour faire de l’ombre à la tondeuse; l’un des pôles pendait maintenant dans le vide, laissant entrer le chaud soleil de juillet. L’air stagnait : aucun vent ne se levait aujourd’hui, ce qui n’était pas rare dans cet îlot de chaleur qu’est Saint-Roch l’été. « Ce sera une belle journée », avait dit maman et Isabelle croyait qu’elle avait raison. Elle avait mangé des pains dorés et mise sa robe préférée, celle qui tourne avec de belles fleurs jaunes. Maman avait peigné ses cheveux et les avait attachées en lulu, comme Isabelle aime. Puis, elle était partie travailler, lui faisant promettre d’être sage avec madame Touski. Isabelle n’avait pas eu peur et elle n’avait pas pleuré, car elle savait ce qu’elle allait faire de sa journée et elle en tirait une grande excitation, comme quand on sait qu’on va revoir de vieux amis.

Dans ce cas, pourquoi n’étaient-ils pas là?

Elle avait regardé, pourtant. Isabelle avait été partout, derrière et sous l’établi, sous la bâche qui recouvrait un set de patio en résine de synthèse jaunie, derrière une vieille porte qui ne menait nulle part, soulevé la tondeuse au cas où elle les aurait mangé. Elle avait même regardé dans les airs, là où pendent les pelles, les bêches et les râteaux à feuilles. Mais non. Elle devait se rendre à l’évidence : ils ne sont plus là. Sa journée est fichue. Elle qui se faisait une fête de les retrouver, de les enjamber, de les propulser le plus rapidement, le plus loin possible : ses amis l’ont abandonné. Sans raison, en plus.

Isabelle sortit du cabanon en retenant avec beaucoup de difficulté ses larmes : elle sait que madame Touski n’aime pas quand elle pleure. Mais c’est plus fort qu’elle. Maman avait promis, elle avait dit : « Tu as été si gentille chez le dentiste hier, tu as fais ça comme une grande fille, tu le mérites bien ». Maman a menti. Pourquoi? Ce n’est pas beau les mensonges, ils l’ont dit dans Passe-Partout, elle sait même que les enfants menteurs ne reçoivent ni la visite du Père Noël, ni  récompenses. Alors pourquoi maman a-t-elle menti? La question tourne dans la tête de la fillette sans fin, tant c’est un non-sens, une impossibilité en cette belle journée où elle a mis sa robe qui tourne avec des fleurs jaunes. Il n’y a rien à faire. Les tricycles ont disparu. Ils sont partis. Ses amis l’ont abandonné.

Madame Touski  étendait des vêtements sur la corde à linge quand la fillette sortit du cabanon. Des années plus tard, Isabelle réaliserait qu’elle n’avait jamais vu sa gardienne ne rien faire : elle était toujours en mouvement, faisant deux, trois, quatre choses à la fois. Car madame Touski ne fait pas que garder Isabelle: elle fait aussi la vaisselle, le ménage, le lavage, les repas, la discipline et elle lit des histoires. C’est de cette aptitude aux multitâches que lui vient son surnom.

En voyant la fillette planté comme une statue de cire en plein milieu de la cour, madame Touski eut d’abord un petit malaise. Était-elle blessée? Ce satané de cabanon, aussi! Puis elle réalisa, avec ce don qu’elle avait de comprendre l’imperceptible, que sa petite protégée n’allait pas bien. Les larmes qui coulaient sur les joues de la fillette l’aidèrent, il faut dire. Elle mit donc sa dernière épingle sur la corde et avança vers elle, lentement. La gardienne n’était plus très jeune et son petit plaisir, quand elle rentrait chez elle le soir, était de manger des chocolats à la cerise. Il faut bien mourir de quelque chose, disait-elle, et aussi bien mourir du cholestérol ou étouffée par la gourmandise.

Madame Touski se pencha à la hauteur d’Isabelle et demanda :

-‘Pour que tu ne joues pas, ma chouette?

-‘Sont partis…murmura la petite fille. Les larmes lui embuent la vue désormais, mais ça ne l’empêche pas de jeter un regard au cabanon, au cas. Les tricycles pourraient être en train de jouer à la cachette. Hey! Isa! C’était une blague, on est là maintenant!

Madame Touski suivit le regard d’Isabelle et réalisa ce qui manquait. Bien sûr. Ce n’était pas tant surprenant, après tout. Ce n’était pas la première fois. Ces sales petits pouilleux.

Elle prit alors le linge qu’elle gardait toujours avec elle et essuya les larmes et le nez de la fillette en soupirant. Va expliquer ça, pensa-t-elle.

-Ne t’inquiètes pas, ils vont revenir, tes tricycles. Ils avaient disparu, l’autre jour et ils sont revenus, non? Tu te souviens, n’est-ce pas? Ben là c’est pareil. Ils vont être de retour, ce ne sera juste pas aujourd’hui. Il va falloir que tu te trouves un autre jeu.

Isabelle renifla et la regarda droit dans les yeux. Pour une adulte, elle ne semblait pas connaître grand-chose, la madame Touski. C’était quoi cette histoire, encore? Oui, ils étaient partis l’autre jour : mais il pleuvait, elle avait répondu à maman (elle avait été impertinente avait dit madame Touski avec un froncement de nez) et elle portait sa salopette en coton avec son t-shirt gris souris. Quel était le lien avec aujourd’hui? De plus, elle ne voulait pas jouer avec eux un autre jour : elle les voulait maintenant! Pourquoi étais-ce si dur à comprendre?

-Pourquoi ils partent, d’abord? Fit la fillette. Un dernier regard au cabanon. Mais non. Les maudits.

-Ils partent, fit madame Touski, parce que des messieurs viennent les prendre sans autorisation (ou plutôt ils les volent pour aller les vendre et ensuite aller à la taverne pensa madame Touski avec dédain). Ils seront rapportés plus tard par des policiers, comme il y a quelques jours. Maintenant…

Isabelle entendit madame Touski dire autre chose, parler du dîner : elle crû entendre vaguement les mots : « Croquettes de poulet »…mais elle ne l’écoutait plus. Elle pensait à eux. À ces messieurs qui viennent lui voler ce qu’elle a de plus précieux au monde sans savoir que c’est sa récompense. Qu’elle n’a pas chialé chez le dentiste mercredi, ce qui ne fut pas facile, car elle eut très mal. Qu’elle avait mis sa robe qui tourne avec des fleurs jaunes pour l’occasion, que maman lui avait fait des lulus et qu’en cette belle journée, c’était à elle de jouer avec. Pas à eux. À elle. Alors, qui sont-ils ces messieurs pour se permettre de venir la voler impunément de ce grand bonheur?

Soudainement, elle les vit comme s’ils étaient devant elle.

Ce sont des hommes trapus, avec des corps d’enfants, mais le visage et la pilosité d’adulte; barbe qui leur mange d’ailleurs le visage et il est difficile de voir leur trait. Isabelle sait que c’est bien chaud l’été, mais que l’hiver, c’est pratique.

On peut les voir parfois quand on porte suffisamment attention sous les portes cochères, cachés dans la pénombre. Quand on a le malheur de les apercevoir, on les méprend pour des chats de gouttière, car leurs yeux sont jaunes, quasi fluorescent. Ils ne bougent pas, respirent à peine pour ne pas être remarqué et souvent on les confond pour ceux que madame Touski appelle «les pouilleux». Il faut dire qu'ils ont des habits dépareillés, ne connaissant pas les robes qui tournent et que leur seul vêtement sont ceux qu'ils ont sur le dos, comme des Bernards l’hermite. Parfois ils sortent en plein jour, mais seulement en cas de haute nécessité et les gens leur lancent de la monnaie comme s'il s'agissait de fontaine. Mais ils n'ont cure de l'argent, des tendances printemps-été ou de ce que madame Touski appelle «le savoir-vivre» avec un froncement de nez. Il n'y a qu'une chose qui les intéresse.

L’obscurité et l'humidité règnent en maître dans leur tanière. Ils lèchent le suintement des murs de pierre, boivent l'essence des voitures et des tondeuses, suçant parfois un caillou quand la faim se fait sentir. D'autres, les plus hardis, se risquent à faire tomber et à fouiller dans les ordures; s'ils savaient que les chats de gouttière et les marmottes seraient blâmés pour leur appétit, ils oseraient peut-être davantage, se dit Isabelle. Madame Touski hait les siffleux. 

La raison qui explique leur agissement (mais pas qui les excuses, croit Isabelle : rien ne peut pardonner ce qu’ils font) doit provenir de cette vie de misère. De cet abandon, car ils n’ont pas de maman et encore moins de papa, c’est bien connu. À la naissance, on les jette dans des paniers d’osier et ils dévalent la rivière-où-il-ne-faut-pas-aller-seule qui les abandonne à leur triste sort sur la grève. Après des jours à pleurer au froid, à la pluie, à la neige, des membres de leur nouveau clan les recueillent et les acceptent, enfin. On ne se sait d'où les anciens proviennent; certains diront qu'ils sont nés des entrailles de la ville, d'autre qu'ils sont venus du Nord d’où ont les a chassé de leur terre. Peut-être viennent-ils de l’endroit où maman va parfois, quand elle a eu une grosse journée à l’ouvrage et qu’Isabelle la cherche. Madame Touski dit toujours qu’elle est partit aux Îles Mouc-Mouc. Faudrait vérifier avec elle. 

Dans leur nouvelle tribu, ils apprendront que la vie est dure, que les cailloux que l’ont suçotent n’empêchent pas le ventre de crier et que l’hiver le froid mord plus fort que le chien du voisin. Qu’on les a rejetés. Qu’on ne veut pas les voir. Qu’ils n’ont pas d’amis et que la fraternité n’est pas une valeur inculquée dans le clan. Ils ne doivent pas devenir trop confortables, car c’est à ce moment qu’on devient faible et qu’on meurt, Isabelle le sait. Ils grandiront sans madame Touski pour s’occuper d’eux et les prendre dans ses bras doux comme du coton, enveloppé dans son odeur de chocolat aux cerises. Ils n’auront jamais le plaisir de l’entendre raconter l’histoire de « Pablo le pingouin qui n’aimait pas le froid » le soir, quand la lune est en pyjama, et ne goûteront jamais un macaroni au fromage. Avec le temps, leur peau deviendra grise et s’harmonisera peu à peu avec les murs de pierre et la poussière les recouvrira, car on les oubliera. Ils deviendront mesquins et méchants, jugeant tout humain qu’ils voient de loin comme étant responsable de leur vie de malheur. Ils aimeraient tant avoir une parcelle de bonheur, même une toute petite et c’est parce qu’on leur refuse qu’ils commettent des crimes. Qu’ils prennent ce qui n’est pas à eux. Qu’ils volent et ce, sans ce soucier des conséquences. Car à eux aussi, il faut des récompenses pour rendre les aspérités de la vie plus douce et les aider à passer à travers une autre journée. Il y a une limite à ce qu’une créature, même aussi coriace qu’elle, peut endurer.

On leur poserait la question, à savoir comment on en arrive là, à voler les jouets des petites filles, à lécher l’humidité des murs et à manger les ordures qu'on n'y comprendrait rien, car leur dialecte nous est inconnu. De toute manière, il est rare qu'ils parlent entre eux et au moment de partir en raids, quand la nuit est tombée, ils ne disent rien. Leur plan est prévu d'avance, chacun connait sa place et son rôle dans la meute qui se glisse dans les zones d’ombres de la ville comme une traînée de poussière.

Mais ils rient, ils s'esclaffent dans leur barbe en pensant au plaisir fabuleux qu'ils auront à enfourcher ces fameux tricycles rouge et bleu.

 

 

 

 
 
 

 
 

 
 

dimanche 7 juillet 2013

Chercher le trouble



 J'adore les histoires de maisons hantées. J'adore la métaphore qu'elles offrent relativement à notre propre vie. En effet, la maison hanté, si personne ni habite, il ne s'y passe rien. Les fantômes s’y tiennent tranquilles. Ce sont les occupants qui y apportent leur peur, leur regret, leur tourment...et la maison (et les esprits qui l’habitent) réagit en conséquence. Il y a là un parallèle à faire avec les agissements que nous avons tous eux un jour ou l'autre... Par exemple, si tu piques un chien avec une épingle, il va te mordre. Or, si tu l'avais laissé tranquille, il ne t'aurait jamais mordu. Et c’est pareil avec les relations que nous avons avec les autres. À prime abord, personne n’a rien contre toi. Mais tu arrives et tu picosses, tu cherches la bête noire, tu vois des fantômes là où il n’y a que des vieux rideaux… À force de chercher le trouble, tu le trouves.

Je sais que j’ai tendance à le faire et que d’autres le font aussi bien que moi, sinon mieux. J’ai jadis mis fin à une relation amicale à cause de cette fâcheuse manie. En effet, elle aimait particulièrement le trouble et s’il n’y en avait pas, elle s’arrangeait pour qu’il y en aille. Chez les hommes, c’est tellement différent… Quand on leur demande comment qu'ils vont, ils répondent :  « Je vais bien. Mais si tu me demandes 15 fois si je suis sûr que je vais bien, la 16e, je n’irais plus bien, car tu m’auras énervé. D’ailleurs, 15 fois, c’est généreux. Disons 3.» N’empêche que la preuve est faite : quand on cherche le trouble, il est rare qu’on ne le trouve pas. 


Bref, si votre maison est hantée, payez-vous une bonne psychothérapie. Un exorciste ne pourra rien pour vous. Ce n’est pas la maison le problème : c’est vous.

Après tout, y a-t-il un comportement humain plus fréquent que celui qui consiste à essayer de régler les problèmes des autres à défaut des siens? 

dimanche 9 juin 2013

Au royaume des rêves désenchantés

Il était une fois…

Une jeune fille qui croyait au conte de fée. Élevée dans la ouate par des parents cordonniers qui lui cachaient la réalité, soit que ce n’est pas parce qu’on travaille fort qu’on est récompensé,  préférant murmurer que tout va bien, elle grandit dans un cocon d’amour et d’eau fraîche et se mit à chercher, à l’adolescence, un prince pour partager son eau et son lit. Elle embrassa quelques crapauds, car elle croyait à tort qu’un homme laid l’aimerait plus, et rencontra son prince dans un bar, un soir où elle ne devait pas sortir. Elle partie avec lui dans un royaume étranger, y fit de belle rencontre et s’essaya à plusieurs choses, sans jamais trop réussir. Mais elle aurait suivi son prince jusqu’au bout du monde : contrairement aux autres, il était beau. Et elle, elle ne s’était jamais trouvée belle.

Quand il était 11 h 11, elle souhaitait vivre avec lui jusqu’à la fin des temps. Quand elle lui disait je t’aime, elle espérait entendre : Moi aussi et non, je te quitterais jamais. Il en en a eu d’autres avant, mais elles n’étaient pas dignes de toi. You’re the one. Étrangement, c’est elle qui le quitta.

Car un soir de septembre, le conte de fée se  transforma en tragédie grecque.

De retour d’un rendez-vous, le prince annonça à sa belle ce que celle-ci savait depuis longtemps : il était en dépression. L’amour qu’elle lui donnait ne le sauverait pas. Mais ça, elle ne le savait pas encore. Elle avait vu Breaking the Waves. Quant au prince, il était trop pris dans ses brumes pour réaliser quoi que ce soit. Petit à petit, il se mit à en aimer une autre. Celle avec un grand M.  

S’en fut 7 mois de malheur. Un jour, à  l’université où elle étudiait, elle faillit battre une autre femme, lui fracassé la tête contre le bitume, car celle-ci riait. « Tu n’as pas le droit d’être heureuse! » Qu’elle aurait voulu lui crier. La peur d’être démasqué la retint. Elle ne voulait pas que les gens sachent que tout n’allait pas bien. Alors elle ravala ses larmes et pensa à ce qu’elle mangerait pour souper ce soir là.

Pendant 7 mois, elle eut peur. Elle n’avait pas été préparée à ça. La mort, ça arrive quand on est vieux. Mais là mort arrivait chez elle sur commande et il ne se passa pas une journée sans qu’elle y pense avec effroi : et si le prince pendait au bout d’une corde? Et si tout ce qu’il restait de leur amour était qu’une lettre aux caractères froids et accusateurs? Et s’il lui demandait encore, y arriverait-elle?

Un jour, elle a réalisé que s’il lui demandait, elle partirait avec lui. Et que s’il ne lui demandait pas, elle partirait toute seule, en se jetant par la fenêtre. Alors elle prit son baluchon, y a mis des vêtements chaud et est partie. Elle a quitté le prince qu’elle avait tant aimé, dont elle avait tant souhaité être aimé en retour…Et bien qu’il l’ait aimé, il est heureux qu’il ne lui a pas demandé de la suivre. Elle aurait fait là une grosse erreur.

De retour chez elle, elle a repris du poil de la bête. A rencontré un autre homme charmeur, ni prince, ni crapaud : un homme qui aime les voitures, jouer au golf et boire de la bière. Un homme qui l’a fait rire.

Cet homme fut l’un des liens qui la tenu en vie pendant 5 ans. Il ne le sait pas, mais elle lui doit beaucoup.

Car tout arriva en même temps : elle faillit faire faillite, voulu mourir, se chicana avec une amie d’enfance, se disputa avec sa mère et développa un trouble d’anxiété généralisé, suite à l’épisode précédant. Elle galéra, car les études qu’elle avait arrêtées dans le royaume voisin ne se reprenaient pas de la même façon où elle était. Elle eu plusieurs contrat, pris du poids et des antidépresseurs et suivit une thérapie, qui s’avéra être la chose la plus difficile qu’elle a jamais vécu. Souffrir, c’est une chose. Admettre à quel point on souffre en est une autre.

Elle crût d’abord qu’on lui avait jeté un sort. Que tout ces souhaits de bonheur avec le prince s’était retourné contre elle.  Qu’on ne peut pas autant souhaiter quelque chose et lui tourner le dos comme ça. Qu’elle aurait peut-être dû rester dans le royaume enchanté. Qu’elle aurait peut-être dû  y mourir.

Aujourd’hui, elle va mieux. Un jour, elle s’est aperçue que la galère était terminée. Fini les folies! Elle avait un bon emploi, elle payait ses dettes rubis sur l’ongle, elle n’avait plus de crise d’anxiété… C’était fini. Ding dong the witch is dead.  Pendant quelques semaines, elle paniqua devant le vide causé par l’évanouissement de ses vieux démons; parti, les jours incertains. Au revoir, l’envie de mourir. Disparu, la peur de la mauvaise nouvelle quand le téléphone sonne.  Terminé les projets foireux qu’elle s’inventait pour s’étourdir et donner raison à sa vie. Elle n’avait plus à se battre. Elle avait gagné. Elle y était arrivée.

Sa vie n’avait plus à avoir de raison : elle était, c’est tout.

Bien qu’elle fût fiancée avec l’homme qui la faisait rire, elle n’a toujours pas d’enfant. A envie parfois de cracher aux visages des femmes qui ont la maternité heureuse et extravertie. L’emploi de rêve s’avère être difficile et elle vient d’y perdre des heures de travail. Néanmoins, quand elle regarde derrière elle, elle sourit. Elle sait qu’elle ne retournera jamais dans le royaume enchanté et elle en est fort aise. Elle sait aussi que sa vie ne sera plus jamais la même : ce qui lui est arrivée est trop grave, elle en comprend tout juste les conséquences. L’anxiété, cette vieille salope, est toujours présente, prête à l’envelopper de son châle rassurant et angoissant. Malgré qu’elles soient souvent inconfortables, on retourne toujours à nos vieilles pantoufles, pour la sécurité qu’elles nous offrent face à l’inconnu du plancher frette.

Mais elle ne veut plus mourir. Et le prince, dans son royaume, non plus. Il s’est fiancé, lui aussi. Il est heureux. 

Elle ne croit plus au conte de fée. Elle croit en la vie. 


lundi 15 avril 2013

Le mythe de Nana


Cette histoire a été publiée dans XYZ, la revue de la nouvelle, dans le numéro 92, à l'hiver 2007. À ce jour, c'est la seule que j'ai publié. 

Une terrible envie d'uriner lui titille la vessie cruellement et il ne peut s'empêcher de trouver ironique que l'endroit où il a décidé de se poster est celui-là même que les gens choisissent pour aller faire leurs besoins primaires. Il n'aurait que deux ou trois pas à faire et il serait exactement là où il faut être pour
vider son ventre en toute intimité. Mais il ne veut pas la rater. Il ne se le pardonnerait pas. Juste être ici lui demande tant d'efforts, tant de volonté pour ne pas fuir comme un lâche, pour ne pas abandonner à la dernière seconde, car il a trop peur de son regard, de cette façon qu'elle a de le toiser comme si elle le méprisait... Mais il a tout prévu. Ça va bien se passer. Il en est certain. Au départ, il va lui sourire. Puis elle va être surprise de le trouver là, mais elle va être contente (oui, oui, elle sera heureuse) et puis elle va s'arrêter pas trop longtemps, car elle est pressée (elle n'a jamais beaucoup de temps quand il la croise, elle doit toujours se dépêcher) et ensuite... Il lui dira.

Il est 17 h 30 : elle vient de finir sa journée de travail. Il sait qu'elle ne sortira pas avant 17 h 45 ; elle va toujours aux toilettes avant de partir, elle ramasse ses choses et elle discute avec ses collègues. Ensuite elle va sur la rue De Lorimier (elle pourrait choisir une autre rue, mais elle prend toujours la même) et elle attend l'autobus afin d'arriver chez elle plus rapidement. C'est dans ce véhicule qu'il a fait sa rencontre. Le 15 mars 2001.

À l'arrêt, ce jour-là, elle l'avait regardé avec ses beaux yeux verts.
Puis elle lui avait souri. Gêné, ne sachant comment réagir, il avait regardé ses souliers, comme un con. Puis elle l'avait salué de la main. C'est à ce moment précis qu'il avait compris qu'il était en présence de l'amour de sa vie. Cette femme qui l'accostait ainsi sans raison... Ce ne pouvait être qu'un signe. Elle s'était approchée et son regard fut troublé : il se dit qu'elle était probablement elle aussi frappée par un coup de foudre aussi fulgurant qu'intense. Mais en s'avançant elle ne le regardait plus de la même façon et arrivée prèsde lui, elle laissa échapper un « Désolée, monsieur. Je vous ai pris pour quelqu'un d'autre. » Et elle lui sourit encore, avant de se tourner pour attendre l'autobus. Dans le véhicule, il s'était assis près d'elle. Il avait ainsi pu humer son parfum et l'observer en douce. Elle était belle.


Le lendemain, il avait pris l'autobus avec elle à la même heure. Il chercha son regard, mais il ne vint pas. Elle gardait les yeux rivés sur son livre, un vieux bouquin au titre indéchiffrable. Par la suite, il eut toujours un roman avec lui qu'il faisait semblant de lire quand il était près d'elle. Il voulait tellement qu'elle le regarde encore ! Qu'elle lui sourie, lui parle, soit gentille avec lui... Mais elle ne fit
rien.

Cette nuit-là, il se réveilla en sueur dans son lit. Son sous-vêtement trempé lui semblant terriblement humiliant, il se leva, se changea et, tenant l'accusé à bout de bras, sortit de sa chambre sans faire de bruit. Heureusement c'était l'été et dehors il faisait assez chaud pour qu'un homme sorte de chez lui à moitié nu sans que cela alerte les voisins qui de toute façon dormaient à cette heure. Il jeta son caleçon dans le foyer qui égayait parfois leurs soirées estivales et craqua une allumette. En regardant la source de sa honte brûler, il eut une révélation. Le jour où il perdra son pucelage devra être en
même temps le dernier de sa vie. Il se suicidera après l'acte sexuel. Cet objectif le combla, ce fut comme s'il venait de donner un sens à sa misérable vie, lui qui tremblait encore en songeant au cauchemar qu'il venait de faire dans lequel il faisait l'amour à cette femme et où elle hurlait de jouissance. Car il savait trop bien en vérité que quand ce moment arrivera elle ne hurlera pas de plaisir, mais bien de rire en apprenant qu'à trente ans, il est encore puceau. Et il n'avait jamais pu supporter les humiliations. Celle-ci serait de trop, s'ajoutant à celle qu'il avait encore vécue aujourd'hui. Il lui semblait évident que si elle ne s'intéressait pas à lui, c'était à cause de cela ;
cette façon qu'il avait de reluquer les femmes, comme un pervers, comme s'il n'en voyait jamais ! Mais ce n'est pas de sa faute : les femmes l'horrifient et le captivent à la fois.

La lame de son couteau de combat lui chatouilla la cuisse ; il le déplaça. Ce souvenir de son père était son porte-bonheur, il le traînait toujours sur lui comme pour se rappeler qui il est. Ce qu'il est. On ne sait jamais quand ça peut arriver. Vaut mieux être prêt à
toute éventualité.

Deux semaines après leur rencontre fortuite, il savait tout d'elle. Il connaissait le nom de son parfum (il en avait acheté une bouteille qu'il reniflait à l'occasion sans que l'effet escompté se produise : il ne
possédait qu'une des composantes de l'odeur aimée, il lui manquait le grain de sa peau pour que le mélange soit parfait), la marque de son shampoing, l'étendue de sa garde-robe, l'endroit où elle  travaillait et où elle habitait (il l'avait suivie jusque-là), ce qu'elle aimait lire, ce qu'elle mangeait au dîner, mais il lui manquait l'essentiel : il ne connaissait pas son nom. Il n'osait le lui demander. Dans ses fantasmes il l'appelait Nadine. Ou Nana.

Le troisième jour de la troisième semaine (la date avait son importance particulière), il osa lui parler. Au début elle feignit de ne pas le reconnaître, puis elle lui sourit. Elle répondit à ses banalités, puis l'autobus arriva. Elle alla s'asseoir au fond du véhicule, placée entre trois ou quatre autres personnes, ce qui eut pour conséquence qu'il ne put plus l'approcher. Pendant le trajet elle regarda dehors alors que lui la fixait, admirant le reflet de soleil qui donnait à sa chevelure des tons d'ambre, il n'avait jamais remarqué. Quand elle passa près de lui pour sortir il lui dit « Au revoir ! » et elle lui fit un
sourire discret. En fouillant dans ses poubelles quelques jours plus tard, il s'aperçut qu'elle se teignait les cheveux elle-même. Il se demanda à qui elle désirait ainsi plaire. Il osa croire : lui.

Le lendemain, il l'invita à sortir; elle déclina l'invitation, mais lui sourit.

Le quatrième jour de la quatrième semaine (il n'oubliait pas que le troisième jour de la troisième semaine elle lui avait souri et parlé), il lui demanda encore une fois si elle ne voulait pas sortir, aller au
restaurant, au cinéma. Elle refusa encore une fois et il lui demanda pourquoi elle ne désirait pas le connaître... Elle lui fit ce si joli sourire qui ne se voulait que poli, mais qui lui semblait si charmeur,
et elle affirma avoir un amoureux et que ce dernier n'aimerait pas qu'elle sorte avec quelqu'un d'autre, même si ce n'était que pour faire connaissance. Il lui rétorqua qu'elle n'avait qu'à ne pas lui en  parler. Pour toute réponse, il n'obtint qu'un sourire et un regard distant qu'il ne pourrait jamais rejoindre. Il prit cela comme un défi.

C'est le 18 avril 2001 qu'il put la voir dans un autre contexte que celui de leurs rencontres à l'arrêt d'autobus. Il marchait alors dans la rue avec un de ses amis et ils la virent. Son compagnon continua de parler, insensible à son désarroi. Il ne pouvait quitter des yeux cette femme qui hantait ses jours et ses nuits et qui s'avançait vers eux. Elle les regarda en passant, s'attardant particulièrement sur cet homme qu'elle savait connaître, mais dont elle ne retrouvait pas la trace dans ses souvenirs. Et à la dernière seconde, elle parut se rappeler et lui sourit poliment. Ce soir-là, lui et son ami devaient aller au cinéma, mais il dut prétexter une excuse de dernière minute, sachant qu'il ne serait pas capable de se concentrer sur un film après l'émoi qu'il venait de subir. Il rentra donc chez lui et passa la soirée à réfléchir, sans réaliser que, parfois, trop spéculer à propos d'événements dont nous ne connaissons qu'une partie des éléments amène à considérer des hypothèses comme étant vraies, bien qu'il n'en soit rien. Au moment de se mettre au lit, il était donc persuadé que cette femme était amoureuse de lui et que sa présence dans la rue quand précisément lui et son ami passaient n'avait pas été fortuite. Il n'y a pas de hasard. Il ne doit pas y en avoir.

Le troisième jour de la cinquième semaine (il avait compris qu'il devait déjouer le destin, changer sa routine ; c'est ce que cette rencontre imprévue lui avait démontré), il lui parla encore. Il débita  quelques banalités, puis lui demanda si elle était revenue sur sa décision et si elle désirait sortir avec lui. Elle le fixa droit dans les yeux et dit, doucement : « Non. » Il bégaya en demandant pourquoi
elle n'aspirait pas à faire sa connaissance et elle répondit : «Je vous l'ai dit, l'autre jour ! De toute façon, nous n'aurions pas les mêmes attentes, dans cette rencontre... » Il lui demanda ce qu'elle entendait par là et elle lui fit un léger sourire avant d'entrer dans l'autobus qui arrivait et d'y disparaître; lui, il n'avait rien de prévu cette journée-là. Il n'était venu que pour la voir.

Aujourd'hui, quatrième jour de la sixième semaine, il est prêt à l'attendre caché dans sa ruelle crasseuse, une dernière fois. Il va lui  demander si elle veut sortir. Si elle veut qu'il la raccompagne. Si elle est revenue sur sa décision. Si elle veut seulement savoir qui est cet homme qui l'aime comme un forcené, de cette façon que les hommes ont de chérir leurs divinités qu'ils érigent en mythes pour
les rendre encore plus inaccessibles. S'il peut l'aimer et mourir.

Mais surtout, aujourd'hui, il va lui faire l'amour. Tout doucement. Comme ça doit être.

Lire sauve des vies

Sur le boulevard René-Lévesque, à Québec, un libraire inspiré a installé un panneau publicitaire pour le moins surprenant devant sa boutique. On y lit :«Lire fait pousser les cheveux». C'est d'ailleurs pour cela que j'ai les cheveux longs.

J'aimerais présenter ici des livres qui ont changés ma vie. Il s'agit rarement de grand changement; bon, il est vrai que j'ai voulu devenir un homme et revenir dans le temps, directement dans les années 1950 après ma lecture de Sur la route de Jack Kerouac...C’est que souvent notre vie change sans que l'on ne s'en aperçoive. C'est après, quand la même situation se reproduit et qu'on ne réagit pas de la même façon, qu'on réalise qu'il y a eu un changement. On a grandit, on a évolué, on a appris.

J'aime lire. J'ai appris à marcher avec un livre dans la main (je me tenais au livre). Quand je ne sais plus quoi lire, je deviens angoissée. J'ai toujours un livre avec moi, dans mon sac. Même si je sais que je ne lirais pas. Ça m'en prend un. Je fantasme sur les bibliothèques, celles en bois qui sentent la poussière et qui contiennent plus de livres que j'en lirais dans ma vie. Quand je vais chez quelqu'un, je ne fouille pas dans la salle de bain: je regarde sa bibliothèque. Et je juge, un peu. J'ai déjà perdu tout respect envers une amie, car elle achetait des livres, mais ne les lisait pas. Ce n'était pour elle qu'un élément de décor. Je l'avoue, notre amitié ne tenait plus à grand-chose, à ce moment. Elle a fini dret là.

Petite, j'allais à la bibliothèque de mon quartier prendre des livres et je CAPOTAIS: tous ces livres sont à moi? Pour 3 semaines? Quelle invention géniale! Fabuleuse! Je voulais devenir bibliothécaire: pour moi, c'était le plus beau métier du monde. Le père Noël pouvait bien aller se perdre dans les  îles Mouc-Mouc, pour se que j'en avais à faire. J'ai travaillé dans des librairies: j'en garde de beaux souvenirs. Quand je parle d'un livre que j'ai aimé, je me mets à pleurer. Et je n'entre que rarement dans une librairie, car il m'est difficile d'en ressortir les mains vides. Je suis comme Angelina Jolie quand elle entre dans un orphelinat: je voudrais tous les adoptés.

Je parle peu de moi: je parle des livres que j'ai lus. Je les regarde avec tendresse et un de mes petits plaisir est de faire le ménage de ma bibliothèque. Je les range, je les sens, je me souviens, je promets: oui je te lirais un jour! Mauvaise mère, je ne tiens pas toujours mes promesses.

Voici donc une petite liste: elle n'est pas complète, j'ajouterais des choses au fil de mes lectures. Mais elle présente mes coups de cœur, par catégories; j’y ajoute aussi un petit résumé de mon cru.

-Le livre qui m'a redonné le goût de lire: Les trois mousquetaires, Alexandre Dumas.

Suite à mon DEC en Littérature, je n'avais plus le goût de lire. Les lectures "obligées" du programme m’avaient écœurées, découragées. Nous devions lire un livre par semaine et bien qu'il m'arrive de le faire, j'aime prendre mon temps et lire quand j'en ai le goût. Lire était alors une corvée, une obligation. Ajoutez à cela quelques problèmes personnels et vous avez une fille qui ne veut plus rien savoir. Après mon DEC, donc, je ne voulais plus lire. Tous les livres que je touchais me répugnaient. Je voulais lire des "classiques", du Zola, du Proust, du Camus, du Stendhal, du Gide ...Des livres que je «me devais» avoir lu. Mais je n'en avais pas le goût. Je voulais être emportée, être divertie...Mon ex-copain m'a alors suggéré la lecture de ce livre. "Tu es drôle, lui ais-je dis, c'est un livre pour enfant...et j'ai vu le film, alors...". "Détrompes-toi! M’at-il répondu, le film est médiocre et ce n'est pas pour enfant! C'est le meilleur livre que j'ai lu dans ma vie. Essais-le, tu vas voir." J'ai essayé. Et j'ai poursuivi avec 20 ans après, la suite. J'avais repris goût à la lecture. Depuis, je voue un culte à Alexandre Dumas. Je l'aime d'amour. Je n'ai pas lu toutes ces œuvres (voir: auteur que j'ai trop lu) et je n'ai pas encore lu Proust. Mais je relus ce livre plusieurs fois… Parfois j’en lis des extraits, au hasard. Pour le plaisir.

L'histoire est simple: d'Artagnan, fils de Gasconne, fier pète et plein d'hormones, par à Paris pour devenir mousquetaire du roi. Dans sa poche, une lettre destinée à monsieur de Treville, capitaine des mousquetaires. La lettre a été écrite par son père et on sent que d'Artagnan y tiens. Or, suite à un quiproquo avec un balafré, il se fait voler sa précieuse lettre. Dans son excitation (ai-je mentionné qu'il était Gascon et plein d'hormone?) il se mettra à dos 3 mousquetaires du roi (Athos, Portos et Aramis) avec lesquels il devra combattre en duel. Bien entendu, les choses ne se passeront pas comme prévu et nos quatre comparses deviendront les meilleurs amis du monde. Ajoutez à cela des complots, des bijoux, une vamp tatouée d'une fleur de lys et vous avez une histoire intemporelle et merveilleuse.

-Le livre qui m'a fait voyager: Hypothermie, d'Arnaldur Indridasson

Beaucoup de livres m'ont fait voyager. C'est là le plaisir de lire. Ce livre se déroule en Islande, pays que je rêve de visiter, mais où je n'irais surement jamais: c'est bien trop cher pour mes moyens et j'aime trop dépenser mon argent pour des choses futiles. Sa description des landes islandaises, des lacs et des lieux m’a transporté. J'ai aussi lu La voix, mais ce n'était pas aussi bon. Visiter l'Islande pour presque rien (quand on prend le livre à la bibliothèque) = je me sens riche.

L'inspecteur Erlendur, toujours à la recherche de son frère perdu, enquête sur le suicide d'une femme sans histoire; la meilleure amie de la défunte est persuadée qu'elle ne s'est pas suicidée. Ou, à tout le moins, on l'a aidé. Comment? Et  surtout, pourquoi? Un excellent polar, sombre et beau, aussi cruel que la nature sauvage de l'Islande.

-Le livre que j'ai honte d'aimé: La fille de papier, Guillaume Musso

Je n'ai pas tout lu Musso: je m'en garde un peu. Quand j'étais libraire, je levais le nez sur cet auteur, que je croyais n'être qu'un clone de Marc Lévy. Grosse erreur. J'ai adoré le côté surnaturel qui se dégage du livre et l'explication tout rationnelle qui explique le tout...J'ai aimé le côté sucré, le romantisme, la jolie finale...Mon genre de rêverie. Une fille qui tombe d'un livre! Le fait qu'on me l’a offert ajoute au charme.

Tom Boyd est écrivant. Sa série de roman, la triologie des anges, se vend partout dans le monde et lui vaux d'être riche à craquer. Pourtant, il n'est pas heureux et suite à une peine d’amour, n’est plus capable d’écrire. C'est alors que Billie, l'héroïne de son roman, tombera littéralement de son livre innachevé…

-Le livre qui m'a donné envie d'aimer un Faune: Le dieu dans l'ombre de Megan Lindholm

Je ne reviendrais pas sur ce livre, car j'en ai fais la critique ici , mais ce livre m'a transporté. Le plus beau, c'est que je l'ai offert à une amie et elle l'a aimé. Rien ne me fait plus plaisir de que partager les livres que j'ai aimé. C'est comme de dire "je t'aime" aux gens, sans le côté parfois awkward de la chose.

-Les livre que j'ai détesté: Pig Island, de Mo Hayder et Les guerriers de la nuit, de Graham Masterton

Un doublé! En plus, les deux ont le même genre de finale. Une finale qui fait pouet. J'ai pardonné plus facilement à Mo Hayder qu'à Graham Masterton. Sacré Graham! Ça doit bien faire 15 ans que j'ai lu ton livre et je t'en veux encore.

Pig Island, donc, est l'histoire d'une île perdue, près de l'Écosse, que les gens du coin croient habitée par un démon. Un journaliste ira pour en avoir le cœur net. La fin est horrible. Je l'ai jeté dans le mur de toutes mes forces quand je l'ai fini. Et ce n’est pas horrible dans le sens «horrifiant» : c’est horrible car je me suis accroché malgré l’histoire sans queue ni tête et tout ça pour une fin mauvaise et maladroite. En fait, l'île est habitée par une secte, dirigé par un charlatan. Ce charlatan a une fille dont le jumeau ne s'est jamais développé: résultat, elle a une jambe qui lui sort du dos, faisant comme une queue. Du gros n'importe quoi.

Les guerriers de la nuit: ah! Graham Masterton. Pour ceux qui ne le connaissent pas, Graham fait dans les 3 S : seins, sang, sexe. Il aime ça le gore, Graham. Adolescente, pleine d'hormones (mais je ne viens pas de Gasconne), j'aimais aussi le gore. Les romans de Graham étaient remplis de scènes d'une violence que je n'ai jamais revue ailleurs et de scènes de parties de fesses avec des femmes aux grosses boules. Systématiquement. Allez savoir pourquoi je ca-po-tais sur lui. Sa série des Guerriers de la nuit me rendait folle: des hommes (et des femmes), handicapés suite à un accident (mais sans lien entres eux) combattent des créatures maléfiques dans les rêves des gens. J'avais lu les deux premiers et n'ayant pas d'argent, j'attendais que le 3e soit libre à la bibliothèque pour le lire. 1 an que ça pris. Une longue année avant de l'avoir dans mes mains. Je commence ma lecture et je capote: des supers-méchant, du sang qui coule par terre tellement il y en a, du bonbon. Mais tout se gâche à la fin...Et l'idylle entre moi et Graham pris fin. Parfois j'ai le goût de relire un de ces romans que j'ai aimé...Mais je le hais trop pour cela. Pensez-y: un an à attendre la finale d'un livre qu'on a aimé. 1 an et une final qui fait pouet. Va chier Graham.

-L'auteur que j'ai trop lu: Henning Mankell.

J'avais le goût de lire du Mankell: j'avais vu la couverture du roman Le retour du professeur de danse et j'avais senti l'appel. En l'espace de quelques mois, j'ai tout lu Mankell, sauf, étrangement, Le retour du professeur de danse. J'ai eu, comme ont dit, une écoeurantite aigue. Depuis, je fais attention et même quand j'adore un auteur, je ne lis pas toute sa bibliographie d'un coup. J'y vais à petite dose. Voilà pourquoi je n’ai pas tout lu Musso, ni Dumas, ni Indridasson…J’ai appris de mes erreurs.

Ne vous l’avais-je pas dit que lire, ça change une vie?



dimanche 14 avril 2013

L’amitié au temps des réseaux sociaux

J’avais un ami. Il ne l'est plus maintenant et suite à notre rupture, je l'ai enlevé de ma liste d'amis Facebook. Je me relis et une partie de moi crie : « Big deal la grande, v’la  trente cennes, va donc t’acheter une vie », mais en même temps, je ne peux m’empêcher de me demander pourquoi ça me semble si étrange. Si déplaisant quand j’en parle avec des amis qui, eux, sont encore « amis » avec lui / elle sur le populaire réseau social… J'aurais presque envie de leur demander de l'enlever aussi, mais je ne n'ai aucun argument. C'est d'une telle puérilité que s'en est gênant. On se croirait dans la cour d'école, au primaire. Et c'est là que ça me frappe: est-ce que ça a une réelle valeur, l’amitié Facebook?

Et si ça en avait une? À partir de combien de « J’aime » devient-on des best-friend-for-ever? À partir de quand « stalker » les photos d’une personne cesse d’être du voyeurisme pour devenir de l’admiration? Si 15 personnes me souhaitent « bonne fête » sur mon mur Facebook, mais que 6 personnes viennent à ma fête réelle, comment dois-je juger mes 9 amis Facebook qui n’étaient pas là? Et pourquoi est-ce qu’on s’obstine autant que ça avec de parfait inconnu sur des sujets qui finalement, ne nous empêchent pas de dormir? Ça te fait chier de ne pas savoir qui sera là au Festival d’été de Québec? Tu penses que tel invité d’Un souper presque parfait ne sait pas vivre?  Pourquoi alors est-ce qu’une partie de moi à envie de t’obstiner? Pour te faire comprendre quelque chose? Pour que tu sois de mon bord? Ou juste parce qu’ainsi, ça prouve que j’ai raison? Pourquoi quand j’écris un statut que je trouve drôle / intriguant / triste / beau / qui demande une réponse et que personne ne me réponds, j’ai l’impression d’avoir raté quelque chose? Pourquoi les gens qui "like" leur propre statut me semble si pathétique? Qui suis-je pour les juger, après tout? Notre personnalité Facebook a-t-elle une valeur? On sait que la majorité des gens n'y présentent que le meilleur d'eux-même; sommes-nous devenus des caricatures?

Et je n’entrerais pas dans le sujet des " publier ce petit chaton sur votre mur et sauver un orphelin du Malawi atteint du cancer " ou le sujet de "toutes les choses que les gens font sur Facebook qui n'ont pas d'allure", car là, je sens que je vais me fâcher.

J’ai enlevé des gens sur Facebook, car je suis une grande sensible. Je n’aime pas la chicane, j’aime ça vivre dans un monde de Cotonelle et si on pouvait tous être heureux et en amour je serais aux petits oiseaux. Dans mon monde idéal, on ferait des "cuddle puddle" au bureau pendant les pauses. Tsais.  Mais il y a des gens qui me tapent royalement sur les nerfs, il y a des gens avec qui je ne peux pas m’empêcher de m’obstiner et il y a des gens qui m’ont fait de la peine. Et, bien que je ne sois pas fière de cela, j’ai plus de faciliter à dire ce que je pense dans un monde virtuel que dans un monde réel. Appeler une personne pour lui lancer ce qu'on appel "un char de marde", peu pour moi. Et si je n'ai pas toujours été poli dans les messages que j'ai envoyés dans le monde virtuel, je sais que mes paroles auraient été bien pires. Pour une fois que les écrits reste alors que la parole s'envole, pourquoi me gèner?

Alors j’enlève des gens de mon Facebook, pour ne pas, un jour que je serais : pompette / spm / déprimé / inspiré, leur péter une coche. Je les protège ainsi de ma furie, de mon désir de justice et de respect mutuel. Car à mes yeux, garder une rancune contre un ami, mais ne jamais lui en glisser un mot, ce n'est pas une marque de respect. Je suis comme un homme: on va se le dire, on va se tapocher et après on prendra une bière et on écoutera le hockey en se grattant la poche. Mais je suis une femme et ça ne se passe jamais ainsi. Je veux tout faire pour éviter les mélodrames, mais paradoxalement, j'en créé. Alors j'enlève les gens de mon Facebook. Bien que je vive dans un monde féérique et parfois imaginaire, j'apprends de mes erreurs. J'évite maintenant les règlements de compte sur Facebook.

Car pour en avoir vécu, je sais qu’une tragédie Facebook, c’est pire que du Shakespeare. Et c’est souvent très mal écrit.

mercredi 19 décembre 2012

L’Anémone

En serrant les dents, ça va passer. Il vient un moment où le corps oubli qu’il a mal, il passe à autre chose, il se tanne: c’est comme tout. Elle va endurer encore un peu la souffrance qu’elle s’inflige, qu’elle fait subir à son corps défendant et après ce sera fini. Anne pourra se relever et retourner travailler, boire un verre avec un homme beau et bon qui lui susurrera des paroles douces dans le creux de l’oreille. Tu es belle, tu es incroyable, la courbe de tes seins est comme un poème…Yeah right.


Plus loin d’elle, comme si la personne était dans une autre pièce, Anne entend cogner. De petit coup, toc toc toc, comme si on voulait entrer alors qu’ici tout ce qu’on fait c’est sortir. On expulse, on pousse, on tire, on crie aussi parfois : toujours des enfants mort. Anne espère que le sien l’est déjà. Au fond, elle espère qu’il ne souffre pas trop. Après tout ce n’est pas de sa faute : il n’a pas demandé à venir au monde. Il est là, il dérange et s’il avait eu le choix, il serait allé voir ailleurs s’il y était. Des femmes tueraient pour donner la vie, Anne le sait. Elle les voit parfois dehors devant le bureau de l’Anémone criant comme des folles le droit des femmes de ne pas disposer de leur corps. L’autre jour, une enragée lui a craché dessus. Anne à montrer ses dents et la furie n’a pas recommencée. Une autre manifestante a hurlé : « Arrière, démone!» Anne a rit jaune. Puis elle a murmuré à la femme, qui s’accrochait à sa pancarte comme à une planche de salut, des paroles incriminant son mari libidineux et celle-ci a hurlé de plus belle. C’est qu’Anne si connait en mari libertin. Mais elle est vite entrée : elle avait rendez-vous.

Au commencement, il faut se coucher sur une planche de bois soutenue par deux équerres qui sert de lit et de table, puisque l'Anémone a faim parfois. Comme il est de mise de se dévêtir et de ne porter qu’une fine robe en lin blanc tâchée de la douleur des autres, il fait froid. Il faut mettre les pieds dans des étriers et écarter les jambes jusqu’à ce que ça fasse mal. Ensuite, l’Anémone dilate l’utérus avec des branches, Anne ne sait pas trop de qu’elle arbre il s’agit, peut-être de la mandragore. Ensuite elle dit de dormir et c’est dur, car l’entrejambes tiraille, ça fait mal. Le lendemain elle entre ses doigts dans le corps de la femme et elle y glisse des produits qui sentent forts, un mélange de gin et de moutarde. Ensuite il faut attendre encore quelques heures puis elle entre des morceaux de métal, des tiges qu’elle agite dans tous les sens pour faire sortir le fœtus. Parfois elle ne réussit pas et l’enfant reste là. Il faut la payer quand même et on raconte que des femmes ont mises au monde des bébés aux yeux crevés qui sentaient le gin et la moutarde. Anne n’aime pas cela, mais elle le fait pour l’Anémone : il faut bien la nourrir.

Soudainement, les deux femmes entendent un cri primal venant du ventre d’Anne. L’Anémone suspend alors son geste et attend un peu avant de reprendre avec des gestes rapides, froids, distants. Elle est habituée: ça crie toujours un peu les bébés quand on les contrarie.