mercredi 19 décembre 2012

Le garçon qui avait vu l’ours

Dave m’avait dit que je pouvais lui faire confiance, que tout irait comme sur des chapeaux de roue et de me fier à lui comme à la prunelle de ses yeux. Il m’a dit : «T’inquiètes, je le sais de source sûre, je suis au courant de tout, il n’y a pas plus fiable que moi, j’ai fais ça des tonnes de fois». Il a aussi dit que j’étais son meilleur ami et qu’ensemble on le ferait. Mais les choses ne se sont pas passées comme prévu et Dave m’a menti. Dave m’a trahi. Et pour ça, il doit mourir.
Moi et Dave nous sommes connus au terrain de jeu, quand nous étions tout petits. Déjà, il était celui qui mène, celui qui décide si on joue à la tag, à la cachette ou tout simplement dans le bateau de pirate. Que d’aventures avons-nous vécu dans cette fameuse structure, nous prenant tour à tour pour des flibustiers au langage coloré ou pour des soldats de la couronne Britannique défendant notre chère patrie! Souvent j’allais souper chez Dave et ses parents nous cuisinaient des hot-dog vapeurs moutardes-choux, puis je rentrais chez moi pour prendre mon bain et me coucher, impatient d’être rendu au lendemain matin pour revoir Dave et toute la bande du terrain de jeu. Il était mon meilleur ami, il était mon confident, il était mon idole. Il était mon amour.

Les années ont passées et bientôt, nous allâmes au terrain de jeu en soirée seulement pour boire de la bière cheap aux slogans racoleurs et pour y fumer de la marijuana. Parfois Dave prenait du speed et se mettait à parler sans arrêt, racontant milles fois telles aventures qu’il avait vécu et qui le mettait en valeur. Nous autres, l’esprit embrumé par l’herbe, nous l’écoutions sans rien dire, riant parfois d’une blague salace, grimaçant devant l’adversité. Nous l’écoutions religieusement, comme si c’était notre prophète et nous pensions en cachette que nous aurions pu vendre notre grand-mère en croquettes pour avoir une once de sa verve et de son leadership. Dave était notre roi, Dave était notre lumière. Sans Dave nous étions perdus : moi, surtout.

Dave connaissait tout plein de gens, de lieux, de rumeurs : mon père un jour m’avait dit en riant que Dave était comme l’homme qui a vu l’ours : il savait tout et rien à la fois. Mes parents ne comprenaient manifestement pas l’intérêt que je portais à Dave, mais moi je m’en foutais : leur opinion était la dernière chose qui m’importait. Elle l'est encore.

La première fois, avec Dave, nous étions dans ma chambre. Mes murs étaient tapissés d’affiches de femmes peu vêtues et de photos de groupes de musique hard-métal. Mes parents étant sortis pour la soirée, moi et Dave avions commandé de la pizza et regardé un film pornographique que Dave avait apporté avec lui. Ce n’est que plus tard que nous nous sommes masturbés. C’était la première fois que je me caressais en présence d’une autre personne et que cette personne soit Dave ne me dérangeait pas. Je n’y voyais aucun inconvénient, il me semblait au contraire que de partager ce moment nous rapprochait.

Plus tard dans la soirée, Dave a fumé une cigarette et m’a parlé d’une amie de son frère, Julie. Le frère de Dave connaissait plein de filles, toutes plus belles les unes que les autres et Julie, m’expliqua Dave, serait prête à coucher avec nous deux. «Pas en même temps! Dit-il en explosant de rire. Mais quand même…facque si ça te tente, on pourrait faire ça samedi prochain.» Julie était une vraie salope, me disait Dave, lui-même l’ayant culbuté quelques fois. Il se mit à me raconter des histoires grivoises où il était question de lui, d’orgie avec Julie et avec d’autres filles dont les prénoms finissaient en «i», de foutres, de bières et de lesbiennes en chaleurs. Nous finirent par nous endormirent, rêvant à des femmes aux gros seins

Le samedi suivant, nous étions chez Julie, une bière à la main. Du haut de mes 15 ans je n’en menais pas large et quand Dave me poussa du coude en disant : «Va-z-y en premier, c’est ta première fois non?» je me suis levé comme un ressort, les jambes tremblantes. Je suis allé dans la chambre où Julie m’attendait et j’ai expédié vite fait bien fait. Qu’elle ait eu du plaisir, j’en doute fort : même moi, je ne peux pas dire que j’y ai réellement passé un agréable moment. Mais Dave me l’avait offert et je ne voulais pas le décevoir. Quand il sortit de la chambre après y être allé à son tour, Dave s’est allumé une cigarette et a juré gros comme le bras. J'en ai conclu qu’il avait aimé son expérience.

Plusieurs semaines plus tard, nous étions étendus dans ma chambre, sur mon lit. Mes parents écoutaient la télévision dans le salon et pensaient que nous jouions à un jeu vidéo; la vérité était tout autre. La fenêtre de ma chambre était ouverte pour laisser sortir la fumée pendant que nous fumions des joints de marijuana en écoutants du death metal. Dave parlait et moi je l’écoutais, comme d’habitude. Dave disait qu’il voulait retourner chez Julie pour la baiser par tous les trous qu’elle avait sur le corps quand je l’ai interrompu. «Dave, ai-je dit, as-tu déjà couché avec un gars?» Dave ne parla pas pendant plusieurs secondes, puis, il répondit : «Bien sur. Pas toi?» Je repris une bouffé de joint.

Nous eûmes bientôt 20 ans et nous étions toujours aussi proche : mes parents blaguaient souvent, disant qu’on ne nous voyait jamais l’un sans l’autre. Et c’était bien vrai : si Dave prenait de la drogue, j’en prenais. Si Dave avait une blonde, j’en avais une moi aussi. Si Dave disait que la côte de bœuf d’un tel restaurant était excellente, j’en commandais une, malgré le fait que je n’aime pas la viande rouge. Alors quand Dave m’a dit qu’il avait été dans un sauna gai, j’ai ouvert toutes grandes mes oreilles.

Dave me parla de ce qu’on pouvait faire dans ce genre d’endroit…Il me vanta longuement le mérite des glory hole, disant qu’il avait essayé et que c’était tout simplement fabuleux. «Mais il ne faut pas mettre de condom, disait-il, ça coupe toutes les sensations…En tout cas, moi, j’en ai jamais mis et je n’ai jamais rien pogné! T’sais le sida pis toute…Ce n’est pas si dangereux que ça.» La semaine suivante, je traversais la porte du sauna.

Plusieurs mois plus tard, je suis allé (seul, cette fois) en consultation chez mon médecin de famille. Puisque je le connaissais depuis très longtemps, je n’ai pas hésité outre mesure à répondre à ses questions concernant ma vie sexuelle. Outre mon expérience dans un sauna gai, j’avais également fréquenté quelques filles, mais rien de très important. Quand il a froncé les sourcils et m’a recommandé de faire un test de dépistage du VIH, je n’ai pas été angoissé du tout. J’avais plus confiance en Dave qu’en mon propre docteur. On est si con, parfois.

Car 3 semaines plus tard, dans le bureau de mon médecin, j’ai pris conscience du sang qui coulait dans mes veines.

Alors ce soir, j’ai invité Dave à la maison. J’ai acheté de la bière, j’ai roulé des joints, j’ai loué deux films pornographiques avec des femmes aux grosses boules, comme il les aime. Et quand il sera assez chaud et assez gelé, je lui proposerais de baiser ensemble, sans condom. Juste pour voir. Parce qu'on est des chums. Ne partageons-nous pas tout entre nous? Il n'a pas à avoir peur. Jamais je ne lui ferais de mal.

Je l'aime tellement.



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire