mardi 30 novembre 2010

Au coin de la Frimousse et de Ti-Coq

Cette histoire fut créée lors d'un défi littéraire entre moi, mon papa et mon copain. Le thème était : "Le banc public" et le style, policier.
Mardi matin, 7h05

«T’en veux-tu une froide?»

La grosse main aussi large qu’un autobus tenait une bière plus grande encore qui à elle seule aurait pu remplir une piscine de houblon. L’affiche hurlait l’air du temps, une publicité machiste et puérile où il était question de boire pour-se-désaltérer-pis-pogner-avec-full-de-pitoune-pis-triper-avec-tes-chums-dans-un-bar-sportif-yeah! Elle était bien située par contre, il faut lui attribuer ce mérite : au coin de la rue De La Frimousse et de l’avenue Ti-Coq, soit le centre névralgique de la ville. Une pancarte située à cet endroit valait au bas mot plus de 50 000$ par jour, ce qui n’est pas de la tarte. Plus de 2000 voitures, autobus, bicyclettes et un nombre incalculable de piétons convergeaient tout les jours sur ce tronçon de rue : achalandé serait un euphémisme dans de telle circonstance. Alors dans ce cas, pensait sous son chapeau l’inspecteur Dionne, comment diable un tueur a-t-il pu placer dans une mise en scène grotesque le corps démembrée et mutilée d’une jeune femme sur le banc public qui se trouvait sur le coin de la dite rue?

Vraiment, il n’en avait aucune idée.

L’inspecteur Dionne fronça les sourcils (il avait l’arcade fournie) : il aimait les enquêtes, cela sautait aux yeux, il était policier nom d’un chien! Mais il n’aimait pas, mais alors là pas du tout, qu’on se paie sa gueule.

4 jours plus tôt, vers 21h00

Rebecca se mirait dans le miroir, admirant ce qu’elle avait de plus que les autres, à savoir : de nouveaux seins. Elle n’était pas escorte, elle n’était pas serveuse dans un bar, elle n’était pas agente immobilière : elle était plate comme une planche à repasser. Sa nouvelle poitrine n’était pas énorme, juste un petit renflement, une petite colline. C’était joli comme tout.
Pour agencer avec ses nouveaux seins, Rebecca choisi une robe rouge corail, légèrement décolleté. Elle l’avait depuis toujours, mais aujourd’hui elle tombait mieux. Elle se maquilla avec soin, peigna ses longs cheveux noirs et mit ses plus jolies chaussures. Rebecca s’admira une dernière fois dans la vanité (quelle allure!) et sortie de son appartement, sans nourrir son chat, Poutine. Elle pensa, à tort, qu’elle pourrait lui donner sa moulée en revenant le soir.

Mardi, vers 9h00

L’inspecteur Dionne en était à son 4e café filtre et il songeait sérieusement à une injection par intraveineuse, quand le lieutenant Parent entra sans tambour ni trompette dans son bureau.

-Et puis? Fit ce dernier, les mains dans les poches, qu’est-ce qu’on a?

-Rien. Lui répondit l’inspecteur Dionne.

-Je vous demande pardon?

-Rien. J’ai dit : R-I-E-N. On est baisé. Je suis baisé. J’en ai marre, je démissionne, je me casse de ce foutu service de merde, je…

-Inspecteur Dionne, je vous ai connu plus combatif.

L’homme aux sourcils impérieux se renfrogna. Puis il tonna :

-Merde lieutenant, on a rien : pas de témoin, pas d’indice, pas de mobile…

-Mais vous avez un cadavre, lui répondit le lieutenant Parent.

-Ben oui, mais…

-Ben c’est déjà ça de pris.

L’inspecteur Dionne fut pris de cour par l’optimisme galopant de son supérieur.

-Alors, fit le lieutenant Parent, vous aller me faire parler ce cadavre mort : d’où il vient, où il allait, pourquoi, comment, à quelle heure, qui il a rencontré… Tout! Interroger tout le monde, virer la ville à l’envers s’il le faut, je vous donne le feu vert.

L’inspecteur Dionne soupira et se lança :

-Rebecca Boulanger, 25 ans, infographiste, célibataire, soufrait de calculs rénaux, 3 plombages, n’avait plus d’amygdales, a mangé 3 toasts aux bananes le matin, est allée à Cayo Coco dernièrement, joueuse de poker, mais mauvaise perdante, s’est fait refaire les seins depuis 3 semaines, aimait les chats, le rose et les pivoines, rêvait du prince charmant, d’une maison en campagne et il lui arrivait de péter au lit.

Devant l’air abasourdi de son supérieur, l’agent Dionne se sentit légèrement euphorique, comme quand on connait la fin d’une blague et notre interlocuteur non.

-On sait tout, tout, tout sur elle, lieutenant. On sait qu’elle est sortie de chez elle il y a 4 jours, sans nourrir son chat. Mais pour aller où? Personne dans ses amis, ses contacts, son milieu de travail ne le sait.

Il savoura l’instant quelques secondes puis il murmura :

-Je vous avais averti lieutenant…On est baisé.

Mardi, vers 7h30 le matin

Jeanne Chabot sirotait son thé vert en écoutant Salut, Bonjour!. Elle arrivait tout juste de travailler et songeait sérieusement à prendre une douche avant de se mettre au lit; Jeanne était infirmière dans un CHSLD.

Son chat se prélassant sur ses jambes, Jeanne le flattait tout en écoutant distraitement les blagues plus ou moins réussis de l’animateur, quand tout à coup, elle entendit une nouvelle qui fit dresser son poil sur ses bras.

4 jours plus tôt, 22h30

Rebecca se laissait bercer par le doux tremblement du métro, sentant pour la première fois de sa vie ses seins bouger pendant que véhicule tanguait. Elle ferma les yeux, sourit. Quelle agréable sensation! Toute occupée qu’elle était à vivre de nouvelle sensation, elle ne remarqua pas l’homme qui la fixait, ni le renflement qui soulevait son pantalon. Si Rebecca avait ouvert les yeux à ce moment, elle aurait vu ses yeux posé sur elle qui la scrutait, la déshabillait, la léchait. Quand elle sortit du métro, il sortit tout juste derrière elle, le pas rapide.

Mardi, 7h31 le matin

Jeanne ne caressait plus son matou dans le sens du poil. Ce dernier cracha et cela sortit Jeanne de sa torpeur.

«Une femme de 25 ans a été découverte hier matin très tôt par la police. Le corps était dans un état de décomposition avancé ce qui indique que le crime a eu lieu il y a 4 jours. On a découvert la victime, et c’est ce qu’il y a de plus incroyable, sur le banc public au coin de la rue de la Frimousse et de l’avenue Ti-Coq. La police recherche toutes personnes possédant des informations et là dessus, nous allons rejoindre notre collègue Claude Poirrier…»

Jeanne ne pouvait plus respirer. Elle sentait la sueur lui glisser sur les tempes, moites et humides. Elle n’entendait plus rien, ne sentait plus rien, seule la panique la tenait.

Car Jeanne avait vu le meurtrier, elle avait vu la victime. Et elle n’avait rien fait.

4 jours plus tôt, 22h45

Rebecca sentait le vent dans ses cheveux et ça la faisait sourire. Tout ce soir était une source d’émerveillement : la musique qui sortait des boites de nuit, l’air chaud de la ville, les lumières qui tuaient la noirceur, tout la rendait heureuse. Ce soir elle sortait dans un bar avec la ferme intention de mettre fin à un an de célibat. Ce soir, elle baisait. Et ça, c’est une raison pour être de bonne humeur.

Elle marchait doucement, sans autre idée en tête que celle d’être culbutée brutalement quand un homme derrière elle lui demanda du feu. Elle se retourna pour lui dire poliment qu’elle n’en avait point et pour lui sourire. Elle était si heureuse!

4 jours plus tôt, 22h30

Qu’est-ce qu’elle était belle! Mais elle était sale…si sale. Ses seins n’était pas vrai, son maquillage trop criard, elle hurlait par tout les pores de sa peau : «Baiser moiiii! Je suis toute à vous, qui que vous soyez!» Elle était belle comme Marie mère de Dieu, mais pute comme Marie-Madeleine. La mission de John était de purifier l’humanité tout entière de sa saleté, des prostituées qui salissaient le Saint Nom du Sauveur, son but était de purger la terre des fausses idoles. Alors quand la femme à la robe corail sortie du wagon, il la suivi sans hésiter.

Mardi, vers 10h00

Jeanne sirotait son café, les yeux baisés. Elle avait terriblement honte. Elle connaissait à l’avance les questions qu’on lui poserait : comment diable elle, une infirmière, n’avait pas été capable de reconnaitre un cadavre quand elle en avait vu un? N’avait-elle pas été à l’école? N’avait-elle pas vu des corps morts et embaumés dans des cours d’autopsie? Dans son hospice de vieillard, ne lui arrivait-il pas de trouver des personnes décédés durant la nuit, la bouche édentée grande ouverte et les yeux vitreux? N’était-elle pas habituée à ce genre de choses?

L’inspecteur Dionne entra dans le bureau, son énième café à la main. Il éprouvait une certaine fierté d’avoir enfin un témoin et attendait beaucoup de lui; il s’imagina quelques secondes en train de lui botter le derrière hors du bureau si jamais ce témoin ne lui apprenait rien, puis se ravisa. Il jeta son café, pressa sur le bouton record de son enregistreuse et entreprit son interrogatoire.

-Mardi le 3 juin, 10 heure du matin. Le témoin est madame Jeanne Chabot et l’inspecteur en service est Paul Dionne. Alors, madame Chabot, commençons par le début voulez vous?

Jeanne suait à grosse goûte. Elle était incapable de quitter des yeux les sourcils de l’inspecteur Dionne qui était secoués par un tic nerveux. Elle déglutit et commença son récit.

-Je suis infirmière de nuit dans un CHSLD. Chaque matin, je finis mon quart de travail à 5h00 moins le quart, puis je rentre chez moi à pied. Ce matin là, j’étais dans la brume : ma supérieure m’avait dite que je ne valais rien parce qu’un patient est mort ébouillanté dans son bain par une préposée aux bénéficiaires qui était sous mes ordres. Je sais que ça ne me pardonne pas…Mais j’étais présente de corps seulement, pas d’esprit ce matin là quand j’ai vu le meurtrier déposé le cadavre au coin de la rue de la Frimousse et de l’avenue Ti-Coq.

4jours plus tôt, 23h00

Il l’avait violé, il l’avait humilié, il avait craché sur ce beau corps prétentieux de femme pute qui reniait sa fonction de mère de Dieu. Il lui avait ensuite défoncé le crâne à coup de roche, la première chose qui lui était tombé sur la main dans le terrain vague où il était. Maintenant il la contemplait, dubitatif. Il n’avait pas vraiment prévu régler le sort du monde ce soir, il n’avait même pas son couteau avec lui. Ce crime, bien que libérateur, n’était pas prévu.

Il parti donc, abandonnant le corps mutilé où il l’était. Quinze minutes plus tard, il avait complètement oublié son existence.

Mardi, vers 10h15

Jeanne termina son café et poursuivi son histoire.

-J’étais fatiguée et en colère contre le monde entier. Vous comprenez inspecteur, quand la terre semble s’être liguée contre vous pour vous cracher à la figure? Hé bien je me sentais comme ça. En plus, il brumassait et le temps maussade me donnait envie de me coucher en petite boulle et de pleurer toutes les larmes de mon corps. Je suis passé par la rue de la Frimousse et au coin de la rue, j’ai vu un homme disposé des morceaux de ce qui me semblait être un mannequin ensanglanté sur le banc public. Je me suis arrêté et je lui ai demandé ce qu’il faisait là…Il m’a répondu, le plus naturellement du monde…

3 jours plus tôt, 3 heures du matin.

«Shit de marde!!» hurla en son fond intérieur Steve Pouliot. Il essayait de mettre ses idées en place, mais il n’y arrivait pas : tout allait trop vite, il ne pouvait pas mettre le doigt sur une pensée consciente précise qu’elle s’échappait, fiiiioooouuutt! Il se pinça le nez, convaincu que ses idées finiraient par lui sortir par les narines.

Steve Pouliot vivait dans la rue depuis 6 semaines maintenant. Avant il avait habité un bel hôpital, mais on avait décidé de lui donner une petite chance, histoire de voir s’il pouvait vivre en société comme un grand et de ne plus être à charge de l’état. Steve avait habité une maison de transition, puis avait oublié ses clés et ensuite son adresse. Comme ses médicaments étaient dans sa chambre, il n’en avait pas pris depuis 6 semaines. Sa psychose avait commencé il y a 5 jours, mais Steve ne s’en rappelait pas. Tout ce qu’il savait, c’est qu’il était en grand danger.
Il déambulait dans le terrain vague quand il entendit une voix qui lui murmura de faire attention aux monstres. Il y en avait beaucoup dans les parages et Steve devait faire attention à ses jambes, car les créatures diaboliques aiment s’y agripper. Les voix disaient qu’ils n’y a qu’un moyen de vaincre les monstres : les détruire. Les hacher menus, déchirer leurs entrailles, manger leurs organes et boire leur sang pour acquérir leur puissance. En dehors de ça, point de salut.
Steve vit alors une effroyable créature.

Elle était couchée sur le dos, les jambes écartées. Son ventre plat luisait sous la lumière de la lune et ses seins semblaient se mouvoir, comme pour attirer à eux des bouches pleines de crocs. Son visage avait disparu, laissant la place à un éclat sanguinolent. Steve eut si peur qu’il fit pipi. Mais la voix murmura et Steve sut d’office ce qu’il devait faire.

Mardi, vers 10h20

Jeanne gardait les yeux rivés sur la table.

-Il m’a dit…quand je lui ai demandé ce qu’il faisait là…Il m’a dit qu’il faisait une exposition. Qu’il était un artiste. Comme on habite dans une ville de fou et que les artistes sont tous des fous en puissances, j’ai pensé… Enfin vous comprenez, j’étais fatiguée, je voulais rentrer chez moi et me coucher…je pensais que c’était un mannequin, vous comprenez? Je ne pensais pas que c’était vrai! Je..je ne pouvais pas croire que c’était vrai!

L’inspecteur Dionne sentit sa pression monté d’un coup sec.

3 jours plus tôt, 7 heures du matin

Steve allait mieux. Il se sentait épuisé, mais glorieux, de la fatigue du guerrier qui a défendu la ville des ignobles créatures qui la peuplent et la salissent. Il avait du travailler fort, briser les os avec des roches, découper la chair avec ses dents, boire le sang et avaler les entrailles, mais le résultat en avait valu la peine. Il avait disposé le corps sur un banc public, comme les voix l’avaient dite. À la femme qui lui avait demandé se qu’il faisait, il lui avait répondu la vérité. Il exposait la créature, pour que les autres monstres aient peur. Qu’ils soient effrayés par sa puissance et qu’ils reculent dans les ombres d’où ils proviennent. Steve était l’artisan qui détruit les démons et sauvent l’humanité, il était le guerrier sans peur qui trucide les créatures de la nuit.

Steve était heureux. Il ne savait pas encore que dans quelques jours, il serait de retour dans sa maison, ni que ce serait l’inspecteur Dionne qui le borderait dans son petit lit. Et au dessus du banc public, la publicité continuait d’hurler ses promesses de rafraichissements et de bonheur artificiel, saveur simulé des rêves qui meurent au coin de la rue de la Frimousse et de l’avenue Ti-Coq.

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